" Mémoire d’outre tombe "

- Ne me demandez pas comment, mail l’essentiel c’était qu’il a mis confortablement son père auprès de la fenêtre de ce compartiment de train en direction de notre région. Le vieux Radan était habillé pour cette occasion dans son habit de dimanche, les chaussures noires et luisantes, la cravate bleue bien rangée et les bras croisés sur ces genoux, les mains minces et bleuâtres de travail pénible – disait Jovan, le villageois le mieux renseigné du village à ses copains assis atour d’une table dans un café de Serbie du sud.

Le soleil annonçait son départ de cet endroit du globe quand ils commandèrent encore de l’eau de vie de prunes "rectifiée " dans les petits bocaux d’un décilitre qui ressemblaient aux "dames-jeannes " minuscules. C’était quand les villageois buvaient de ces petits bocaux qu’on pourrait croire qu’ils jouaient aux petites trompettes.

-Ah, vous connaissez bien nos gens en Allemagne. Ils "bossent " bien pour ces capitalistes afin d’envoyer du pain à ses familles ici. Ils ne "bossent " pas ici. Ah non, pas du tout ! C’est là où ils travaillent comme les esclaves. Tenez, par exemple ce Radan du village à côté. Il est parti en Allemagne il y a deux ans pour acheter un tracteur, une vache et je ne sais quoi encore, quand, tout d’un coup les voilà sur ce train allemand en traversant le paysage propre et translucide. On dirait qu’ils on bien balayé même le paysage, les champs, les rivières. Je me demande d’où vient cette envie d’être si propre et blanc comme s’ils voulaient enlever les traces de leur passé...

Il était agréable d’être assis sous ce tilleul géant. Les copains y arrivaient chaque soir pour se renseigner de tout ce qui se passait dans le village et au alentour. L’ambiance y était amicale et quelque fois ridicule.

-Mais, tu nous parles de vieux Radan qu’on vient d’enterrer ce septembre. Son fils le jeune Radan est reparti en Allemagne ?

Justement – disait Jovan après avoir pris une petite gorgée de cette boisson flamboyante.

Le vieux Radan était mort quand son fils l’a embarqué sur le train. Il a du se débrouiller puisque les frais de transport d’un mort, un coffre métallique, les certificats médicaux étaient insurmontables pour le fils de Radan. Et puis une véritable montagne de papiers que les autorités allemandes ont inventée dans un cas pareil...

Vers la frontière autrichienne le train s’est remplie et devenue plein de monde, surtout les Yugoslaves qui travaillaient en Allemagne et Autriche. Bien sûr, le compartiment où se trouvait notre bonhomme décédé était vite envahi par un autre bonhomme de nos régions avec ses malles, cartons, valises... Ses amis sur le quai ont même ouvert la fenêtre pour l’aider de monter ses bagages. Une de ces nombreuses malles, mal mise sur le filet de bagage tomba de tout son poids sur la tête de notre Radan, tout raide et froid. Oui, le corps de notre ami glissa et s’allongea par terre sans aucun signe, sans rien dire. Notre compatriote, foudroyé et pétrifié par cette scène, essaya de palper son pouls. Rien. Froid et les yeux, mon Dieu, le regardèrent d’un air menaçant. L’homme était perdu. Quoi faire ?

Il ouvrit la fenêtre et comme il faisait nuit il jeta simplement notre ami Radan par la fenêtre du train en pleine vitesse. Tout tremblant il s’installa dans le fauteil en réfléchissant rapidement comment peut-il être accusé d’un meurtre ? En tout cas cela n’était pas qu’un acte non-prémédité... Oh la maudite malle pleine des pièces détachées...

Peu après cet événement, le fils Radan revint du wagon-restaurant et aperçu le changement dans le compartiment de son père. Il remarqua l’homme et son bagage partout dans ce compartiment.

Mais, mon père, dites-moi, où a-t-il disparu ? demanda le Fils Radan.

Ah, lui, celui de ce coin. Votre père ? Je ne sais pas, il vient de sortir, peut-être pour prendre de l’air, dit notre compatriote calmement.

Mais comment sorti pour prendre de l’air ? et dans quelques instants il expliqua son malheur à cet homme ; Celui-ci de son tour expliqua tout ce qui s’est passé pendant que le fils était dans le wagon-restaurant. Ils n’ont pas eu un grand choix : il a fallu arrêter le train, appelle la police et quelques jours plus tard notre vieux Radan continua son voyage vers notre région dans un coffre métallique, muni de tous les papiers nécessaires.

La nuit, douce et fragrante était déjà tombée quand le petit groupe de gens commencèrent de se dire adieu. Demain, même temps, même endroit, même boisson, mais une autre histoire, peut-être beaucoup plus incroyable et surprenante.

(D’après le journal " Politika express " des années soixantes)

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Dejan Jelacic, prof